La complexité de l’univers sourd, au travers des yeux d’une entendante
- Manon Salet
- 18 mars 2021
- 5 min de lecture
Rédiger un article par mois visant à présenter la communauté sourde, ses complexités et sa richesse, c’est le challenge que nous -l’équipe d’UnMute- nous sommes lancé en décembre 2020.
Aujourd’hui, c’est mon tour, et devant le flux dense d’informations que l’on peut trouver sur internet, la complexité du sujet et surtout un immense sentiment d’imposteur qui grandissait de jour en jour en moi, je ne savais où donner de la tête.
Quel sujet puis-je aborder ? Quelle est ma légitimité en tant que jeune femme entendante qui découvrait cet univers quelques mois plus tôt ?
La réponse est : AUCUNE !
C’est pourquoi aujourd’hui, je ne vais pas m’aventurer sur un sujet précis, mais plutôt témoigner au travers de ma très petite expérience. Il s’agit en quelque sorte de mes premiers pas « dans » cet univers, et toute la richesse et la curiosité qui m’ont poussée à m’intéresser à la « culture sourde ».
Tout d’abord, qu’est-ce que la culture sourde ? Et pourquoi parle-t-on d’une réelle communauté ?
J’ai appris que cette notion de « culture sourde » était très discutée dans les recherches anthropologiques. L’histoire sourde, qui fait partie de sa culture commence par l’affirmation de la langue des signes en 1789 en France. On peut rapprocher cela à l’histoire de l’humanité qui débute avec l’écriture. L’un découlant de l’autre, l’histoire retraçant les combats et les épreuves passées où encore en cours, pour la reconnaissance et le respect de la langue des signes et montre la naissance de la culture sourde, de certaines de ses valeurs et de ses mythes.
Au-delà de ses représentations, cette culture est véhiculée dans la communauté Sourde, et chaque membre de cette communauté revendique une identité sourde. C’est d’ailleurs ce qui en fait une communauté complexe à aborder de prime abord.
Il faut penser à la diversité des personnes qui s’en réclame, la multiplicité des moyens de communication, les différents types de surdité, et les divergences d’opinions au sujet de celles-ci. Cela est si complexe qu’il semble impossible de définir la culture sourde en quelques lignes, ni même de réellement lui donner un cadre.
Dans ce cas, pourrait-on dire que chaque personne qui s’en revendique apporte sa propre définition à la surdité ?
Dans une interview trouvée sur le web, une jeune femme sourde profonde confiait : « ils (les devenus sourd) comprennent ce que c’est mais je pense que justement, ce n’est pas forcement ces gens là qui sont porteurs de la culture sourde. »
Pour elle, la culture sourde est portée uniquement par les personnes qui n’ont jamais été entendantes. Cependant pour d’autres telles que Sandrine, le positionnement est tout autre : « j’ai un peu un positionnement particulier parce que c’est surtout via mon travail que je travaille avec des sourds. (…) je peux dire que je suis un peu reconnue par la communauté. Intégrée, je n’irais pas jusque là parce que de toutes façons, je ne signe pas assez bien pour être vraiment intégrée à la communauté. »
Le sentiment d’appartenance ou non est donc propre à chacun, et sujet à de nombreux débats. Cette hétérogénéité d’opinions en fait une culture complexe à représenter, leurs voix n’étant pas unique.
Alors, dans cette horde d’opinions qui diffère et suscite le débat au cœur même de personnes qui se revendique comme une communauté : Comment, en tant qu’entendante, ne pas commettre de maladresse irréparable ?
Mon rôle de responsable partenariat m’a amené à échanger avec de nombreuses personnes. Je me rappelle cette fois, où demandant conseille à une femme par email, celle-ci me fit remarquer que le terme déficienceque j’avais employé, était quelque chose qui l’avait particulièrement embarrassé. Sur le coup, je me suis sentie honteuse et confuse de l’avoir -involontairement certes- rabaissé en considérant sa différence comme une déficience. Mais, heureusement que d’autres rencontres m’ont fait relativiser sur cette erreur et cela m’a permis de constater une nouvelle discorde au sein de cette communauté, le sujet touchy de la notion de « handicap ».
Nombreux sont ceux qui définissent la surdité comme un handicap de communication. Cela semble assez pertinent dans le sens ou l’on ne reconnait pas une personne sourde au premier abord. Le fait que la culture sourde soit portée par la langue des signes définit aussi la différence entre les Sourds et les entendants. Cela pose donc ce problème de communication : chacune des deux communautés a sa propre langue.
D’autres sourds -majoritaires- qui font partie de la communauté Sourde et qui revendiquent une identité sourde, non pas un handicap mais une différence.
Un article en ligne m’a particulièrement marqué. Il évoquait le renversement de situation lorsqu’une personne entendante n’est qu’avec des personnes sourdes et donc ce sentiment assez troublant « d’être à son tour le handicapé ».
Sacks l’avait aussi évoqué dans son ouvrage (Des yeux pour entendre) lorsqu’il s’est rendu à la grande manifestation à l’Université Gallaudet pour l’élection d’un président sourd : « Tout le monde discute avec animation, et je ne comprends rien à ces discussions : aujourd’hui, il me semble que c’est moi le sourd, le muet qu’au sein de cette grande communauté de signeurs c’est moi le handicapé, la minorité. » (Sacks, 1990 : 175)
Ce qui est assez troublant avec ce raisonnement c’est que la barrière de langue entre deux pays étrangers n’est pas considérée comme un handicap, alors pourquoi l’est-elle considérée dans ce cas-ci ?
Si je voulais conclure cet article, je dirais qu’en seulement quelques mois, j’ai découvert un univers que je n’avais jusque l’a pas imaginé aussi riche, important, divers, et complexe. La culture sourde est malheureusement tellement peu diffusée parmi les entendants, qu’elle n’a que peu d’impact. C’est pourquoi, malgré l’unicité que chaque individu qui s’en considère membre apporte, et les sujets de discordent que cela suscite, la communauté sourde tend à se faire entendre d’une seule et même voix forte. Trop souvent marginalisée, voir même oubliée du fait de ce « handicap aveugle », il est difficile pour des entendants de comprendre que pour arriver à cette « normalité », il y a derrière un combat de chaque instant pour certains.
Et, si trop souvent les personnes sourdes ou malentendantes sont réticentes à ce que les entendants s’emparent de leur combat, cela n’est généralement pas fait par méprit mais plus par méfiance. La surdité est un sujet extrêmement complexe et il est si difficile de faire entendre une voix que brouiller les messages par des approximations -tout aussi bienveillantes qu’elles soient- ne fait que limiter le message de cette communauté. C’est pourquoi, aujourd’hui j’appelle tout un chacun à prendre du recul sur la société en général et écouter son prochain, surtout en ces temps de crise sanitaire ou la communication n’est que d’avantage entravée.
NB : cet article ne fait que le récit de mes expériences personnelles, il a pour seul but de susciter de la bienveillance et d’éveiller des échanges constructifs.
Merci
Sources : Wikipédia, Ccsd cnrs, yt, …
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